Il Concerto dell acqua
Troisième volet de la série 3 Easy Pieces produite par Lab’Bel (Laboratoire Artistique du Groupe Bel) pendant la Biennale d’art contemporain de Venise de 2022
Il s’agit d’un ciné-concert qui se déroule la nuit sur une petite place de Venise aux lumières éteintes.
Le film commence sous un ciel de lune, sur les glaciers d’une montagne. La neige bruisse, les crevasses craquent, des gouttes tombent. S’approchant des éléments on le voit et on l’entend distinctement : tout fond.
À mesure que l’on entre dans ce film nocturne, que l’eau se met à couler en ruisseaux et que nos yeux s’habituent à la pénombre, on le distingue : un chœur se trouve près de nous. Les sons que l’on entend “sortir” des images sont en fait joués par des gens. Une quinzaine de bouches, le double de mains. Muni.e.s de plastiques, de restes métalliques, d’objets en fin de vie ou instruments plus vifs ou complexes, ces Vénitien.ne.s rassemblé.e.s s’affairent à faire sonner l’eau qui se transforme de plus en plus fort et dégringole jusqu’à la Lagune de Venise, bientôt prête à l’engloutir. Les sons, hyper- réalistes, emplissent l’espace et forment la sensation de présence de l’eau. Pourtant, ils sont humains. De l’ensemble se dégage une sensation diffuse de musique.
Le film prend l’eau comme personnage principal. Une caméra au point de vue volant, sans corps ni yeux comme dans un rêve nous donne à voir son visage à distances et échelles multiples. Tour à tour géante, macro ou microscopique, sortie de son immobilité par le réchauffement du climat l’eau éclot, se love, se tord et déploie sa pesanteur puis se noue, se masse, forme onde et prend force. C’est qu’il ne s’agit pas tant
ici d’une chose que d’un être ou un devenir : l’eau qui sourde, bruisse, chuinte et puis explose. L’eau qui parle, insaisissable et vivante en ses états multiples. L’eau (re-)devenue verbe.
Au fil de ce ruissellement le film arpente aussi, au milieu des images filmées dans des paysages réels, des portions de paysages peints ou sculptés. Détails, fonds et bordures d’œuvres que l’on peut parfois reconnaître parmi les tableaux des quattro et cinquecento. On y devine parfois des figures, la religion et l’histoire d’un âge d’or de Venise. On y sent toujours le pinceau, qui apparaît presque nu pour figurer l’eau.
La performance, en proposant à des étudiants, des musiciens et des amis de Venise de rejouer exactement ce que l’eau “dirait” dans les images, propose, en même temps qu’une peinture sonore fidèle qui pourrait rappeler les démarches de la Renaissance, une sorte de cérémonie d’”adresse à”, un moment d’appel ou de parole échangée. Plongeant performeurs et spectateurs dans les réalités sensibles de l’eau elle tend à les rassembler, pour un temps, au diapason de l’élément pour produire un moment de co-animation, de co- perception. L’on verra alors si la musique qui affleure dans ce récit partagé peut nous porter ensemble dans une sorte de temps du rêve incluant cette ville, les rivières, le continent et ses montagnes, la terre et ses glaciers alors qu’ils sont en train de fondre, et font monter le niveau de la mer, là, justement.
Ariane Michel