Entretien avec A.Michel, propos recueillis par E.Lequeux, Beaux Arts (avril 2010)
Entretien avec Ariane Michel, Vidéaste.
« J’essaie de montrer un temps en dehors du temps »
Chouettes, moustiques, morses, petits chevaux de Przewalski… Dans vos vidéos, vous mettez constamment en scène des animaux. Quel effet cherchez-vous à produire sur le spectateur ?
J'essaie de montrer un temps en dehors du temps, que le spectateur soit dans la sensation plus que dans la narration. En m’adressant aux gens par le biais des animaux, je les ramène à quelque chose de l’ordre de l’enfance, comme quand on se déguise : on n’est plus dans un rapport de force ou de pouvoir. Les gens sortent de mon exposition à Roubaix physiquement transformés, une vidéo montrant les morses en sommeil leur fait lâcher physiquement prise. Mon travail est orienté sur les modifications sensorielles Plutôt que sur l’érudition, il instaure un rapport physique avec le monde qui nous entoure. Écouter chaque petit bruit, entendre le vent, être dans une durée qu’on a en nous, mais qu’on utilise peu. Un temps intime, pré-lengagier. J’ai l’impression que l’être humain n’utilise pas toutes ses capacités, que notre intelligence des sens est abimée. Ce qui m’attire, c’est la racine des gens plus que leur ramage. Le jeu social ne m’intéresse pas. Dans mes vidéos, je propose d’y échapper.
Vous voyagez beaucoup dans le cadre de vos projets, dans des contrées lointaines comme l’Arctique ou la Sibérie, comme si vous cherchiez à échapper à la superficialité des relations sociales
J’ai une façon de partir et de revenir, d’être entre une yourte en Mongolie et Paris. Cela me permet de changer de focale, de mettre en jeu des distances différentes. Quand on est au Groenland, notre niveau de sensibilité aux choses vivantes croit, nous devenons attentifs au moindre changement d’horizon, à la plus petite plante. Là-bas, j’avais parfois mal de regarder tellement c’était beau. De retour à Paris, on est submergé, tout devient énorme. Vous avez notamment tourné une vidéo avec un chercheur de mammouth, dans sa cave creusée dans le permafrost. Pour moi, ce lieu est comme une exposition un peu bizarre vue par personne. Un cabinet de curiosité où tout est figé, sauf cet homme qui tente de réchauffer un mammouth au sèche-cheveux. En travaillant sur les animaux préhistoriques, j’avais envie de refaire les fresques pariétales avec du « vivant », de créer un temps d’avant les hommes.
Propos recueillis par Emmanuel Lequeux