A.Michel fait voir le temps d’avant les Hommes, Emmanuelle Lequeux, Le Monde 29.04.10 (juin 2010)
Ariane Michel aime explorer les terres inconnues, “ces lieux où cela fait parfois mal de regarder tellement c’est beau”, dit-elle. La jeune vidéaste française les caresse de sa caméra, elle s’y fait toute petite et discrète pour se faire oublier du monde, et en ramener une certaine quintessence, fragile. De l’Antarctique à la Mongolie, elle arpente ce que l’on croit à tort être des déserts, et concentre son regard sur ce (ceux) qui les peuple(nt) : des animaux, qu’elle observe non comme une documentariste mais comme une congénère. C’est à nos émotions les plus primitives que l’artiste s’adresse ; c’est notre cerveau reptilien qu’elle convoque.
Pour réveiller cet organe sous-exploité, cette intelligence intuitive des sens, Ariane Michel a toutes les qualités requises : une capacité rare de contemplation, une attention “vibratile” aux mouvements de la nature, à ses bruits, un sincère sens du repli. Ce que l’on pourra constater jusqu’au 12 mai avec ses deux derniers films présenté dans l’exposition “Paleorama”, Fondation Ricard, à Paris, tandis que la galerie Jousse ouvre avec d’autres films de l’artiste son nouvel espace, rue Saint-Claude, dans 3e arrondissement de Paris.
Après avoir été montré en février à l’Espace Croisé de Roubaix, qui l’a produit, le dernier opus d’Ariane Michel se déploie à Paris sur quatre écrans. Chacun est occupé d’une présence rare, celle des petits chevaux de Przewalski. Les mêmes qui ornaient les grottes du temps de Lascaux : courts sur pattes, têtus et réputés indomptables. Quelques descendants de ces êtres préhistoriques paissent dans les steppes mongoles. L’approche est douce, le temps leur glisse lentement dessus, comme ralenti. Figés dans les mille tons d’ocre de ces plaines lointaines, ils s’ébattent peu à peu, ruent mystérieusement. Bruit des sabots, clapotis de l’étang, frisson du vent… Le spectateur est assailli de sensations, de cet endroit “où les chevaux sont souverains en dehors de nous”.
Prolongeant cette fresque pariétale devenue vivante, un autre film montre en quelques minutes un véritable voyage au centre de la Terre : une cave creusée dans le permafrost sibérien. Miroitante de glace, secrète comme une chambre d’initié, elle recèle le cadavre d’un mammouth, découvert intact à quelques pas de là par l’un de leurs grands chasseurs contemporains, Bernard Buigues. On l’y voit tenter de réchauffer la bête au sèche-cheveux, tâtant ses poils millénaires, enfonçant le doigt dans sa chair paléolithique, attendant avec confiance qu’elle se réveille enfin. Plus que jamais, avec cette ode archaïque à ce qui a disparu mais pourrait renaître, Ariane Michel atteint son but : “Montrer un temps hors du temps, un temps d’avant les hommes.”
Emmanuelle Lequeux